Autonomie et coopération : réinventer le travail pour une société plus juste et vivante !

Quel est le lien entre l’organisation du travail et les enjeux de transition au service du vivant (humain et non humain) que traverse notre société ?

Nous avons récemment organisé un événement dédié autour de ce thème, à travers le témoignage de deux organisations qui ont mené des démarches de transformations sur ces sujets. 

Cet article retrace les éléments clés de leurs propos concrets et authentiques. Ils illustrent à quel point transformations sociétales et transformations organisationnelles sont intimement liées. 

Témoignages inspirants d’entreprises

Fanny Langlois est Directrice Générale Déléguée de la SCOP Dessica et co-dirigeante des deux filières. Avant de rejoindre la structure en 2022, elle travaillait chez Ethiquable puis à l’Union Régionale des SCOP où elle accompagnait les dirigeants de coopératives sur le territoire AURA dans leurs enjeux. 

Dessica est basé à Trévoux dans l’Ain et déploie son activité industrielle de déshumidification de l’air sur 3 sites, comptant au global une soixantaine de collaborateurs.

Dimitri Molle, est Président de Sénova à Lyon. Issu d’une famille d’entrepreneurs, il fonde Sénova à la sortie de l’École Centrale, une société par action simplifiée et entreprise à mission.
Son activité : “Nous suscitons des projets de rénovation énergétique d’immeubles et nous les accompagnons en tant que maître d’œuvre et assistant sur le financement, du démarrage jusqu’à la réception des travaux 4-5 ans plus tard.” 

Son premier capital est humain, Sénova compte aujourd’hui une centaine de salariés présents dans 5 agences françaises, avec des métiers d’ingénierie, d’architecture, de conduite de chantiers, de modélisation de bâtiments, de gestion administrative et financière. 

L’autonomie et la coopération ne se décrètent pas… 

Elles sont traduites dans l’organisation du travail. 

Dessica, une SCOP fondée sur l’autonomie et la gouvernance partagée

Chez Dessica, le passage en SCOP en 2012 a fortement marqué l’histoire de la structure en affirmant ainsi que “l’outil de travail appartient à tous” comme l’exprime Fanny. 

En effet, le statut de “Société Coopérative et Participative” ou “Société Coopérative de Production” est une société dont les salariés sont les associés majoritaires. 

Le principe est celui d’ 1 homme = 1 voix dans les décisions stratégiques, quel que soit le capital initial investi. Cela implique de récompenser le travail plutôt que l’investissement des actionnaires et de sortir d’une logique capitalistique : il y a une répartition équitable des richesses créées pour les travailleurs. 

Autre spécificité : le dirigeant est élu par ses pairs avec un mandat limité et renouvelable ou révoquable. C’est aussi une entreprise qui ne peut être ni revendue ni délocalisée. 

Ainsi, Dessica compte 22 associés sur 38 salariés. L’éligibilité n’est pas immédiate dès le recrutement :

“On attend de se connaître, de savoir travailler ensemble, de partager les mêmes valeurs, avant de devenir associé et de décider ensemble.”

Devenir associé.e n’est pas que symbolique, mais engage à décider lors des Assemblées Générales des décisions stratégiques, des contours du “travailler ensemble”, de la répartition des résultats, des recrutements, investissements et budgets pour l’année.

Au-delà du statut de SCOP qui contient donc dans son essence même la dimension coopérative, Dessica a développé une culture d’organisation qui permet aux collaborateurs d’être autonomes dans leur quotidien de travail :

  • Une organisation par pôles permet de prendre des décisions rapidement. 
  • Des groupes de travail sont créés pour répondre aux projets du moment.
    Ce fut le cas pour la mise en place de la semaine de 4 jours : “c’était un vrai challenge ! En effet, il a fallu trouver un compromis entre la volonté de favoriser un équilibre vie pro/ vie perso et la difficulté de mettre en place ce type de système pour des techniciens ou postes terrain dont la présence sur site client est nécessaire, parfois sur la semaine entière”.
  • Des temps de cohésion sont régulièrement organisés : concrètement, les semaines sont de 34h et la 35ᵉ heure est cumulée afin de se libérer une journée par trimestre de séminaire d’équipes : (nos Dessiday’s) autour des enjeux de demain, mais aussi de l’interconnaissance et de la convivialité. 

Fanny en donne le sens :

Il y a parfois un écart entre la conscience/la vision de la direction et le chemin des équipes : il y a un enjeu d’embarquer les équipes et de construire cette direction commune, d’éclairer les enjeux de société et d’y réfléchir ensemble !

Les décisions impactantes doivent engager toute l’entreprise, et c’est bien l’intention de ces temps forts.

Retour en image sur notre dernier événement FlexJob.

Sénova, une culture managériale fondée sur l’autonomie et la responsabilisation

Chez Sénova, la volonté que chaque salarié soit rendu autonome s’est imposée dès le départ comme une évidence. 

Les dirigeants étaient convaincus que déléguer et confier des responsabilités est une condition sine qua non du passage à l’échelle et de la croissance de l’organisation. Le fonctionnement en forfait jour a modélisé cette intention. 

Dimitri précise qu’il “s’agit plus d’une question de confiance que de processus” : les 3 valeurs de Sénova sont les suivantes : HUMAIN – RESPONSABILITÉ – AUDACE. 

Mais si la direction en est certes convaincue, cela ne suffit pas ! En effet, avec 30% de croissance et donc de nouveaux effectifs à intégrer, elle s’est rendue compte de l’importance d’expliciter et d’incarner ses valeurs afin d’embarquer le collectif. 

Ont ainsi été mis en place : 

  • Des ateliers de construction de la vision d’entreprise : c’est un sujet impulsé par le CODIR mais co-construit avec les services.
  • Des ateliers SénovaLEURS pour construire une charte de valeurs incarnée : “Nous avons interrogé nos salariés pour faire émerger ce qu’ils aimaient, n’aimaient pas, ne voudraient plus voir venir dans notre culture d’entreprise. Cela a pris une année pour rédiger le référentiel de la culture d’entreprise.” Le CSE et les managers ont bien sûr été les premiers interlocuteurs et acteurs dans ce projet. 
  • Une démarche pour faire émerger des leaders, apprendre par exemple à déléguer et à retransmettre cette culture : les nouveaux managers entrent dans un parcours d’½ journée par mois sur des thématiques clés pour la vie managériale, comme le point d’évaluation, le recrutement, les réunions d’équipes… Il y a un formateur dédié pour développer ces principes managériaux liés à la responsabilisation. 
  • La construction de la vision de l’organisation.

Dimitri partage les étapes de ce cheminement :

En 2009, nous construisions la raison d’être, la visée et les ambitions de l’organisation seuls en direction, puis, en 2014, nous avons partagé cette construction plus collectivement”.

Avec l’appui d’un accompagnement externe, en 2018 a été vécu un séminaire clé de 2 jours de refonte de la vision :

On a créé une vision audacieuse, très humaine, et on est à mi-chemin avec un outil merveilleux pour écrire ce qu’on veut ensemble et pour clarifier un cap de responsabilisation, c’était riche de créer cela avec tous. Mais attention, nous ne sommes pas des ayatollahs des processus participatifs remontants : dans certains cas, c’est “remontant des équipes vers le codir puis redescendant”, et dans d’autres cas, c’est “descendant vers les équipes puis remontant vers le codir”. De même, nous sommes flexibles sur les processus de décision, en cherchant celui qui fait le plus de sens à chaque fois. Ce qui est sûr, c’est que nous avons encore du potentiel pour aller plus loin, pour libérer davantage la parole et enrichir, co-créer, partager encore mieux les décisions.” 

Ce qui compte, c’est de partager le sens des décisions, même si toutes les décisions ne sont pas prises en collectif.

Ces démarches sont regroupées dans un livret d’embarquement, co-construit et illustré qui reprend ces travaux pour présenter la culture d’entreprise et embarquer les arrivants. 

Ces deux illustrations de l’autonomie et la coopération en action dans ces deux organisations vont notamment dans le sens d’une recherche de “plénitude” dans le travail. Telle qu’elle est décrite par Frédéric Laloux, il s’agit de la volonté d’avancer ensemble avec plus d’authenticité, de travailler sur soi et sur sa propre manière d’accueillir les messages et de communiquer en cohérence avec ses émotions. 

Des actions engagées pour une société plus juste et plus vivante 

Concilier activité industrielle et engagement écologique

Au regard des enjeux écologiques, l’activité de Dessica peut vite avoir l’étiquette des “mauvais pollueurs” ! Le bilan carbone réalisé a permis de prendre conscience que 98% de l’impact carbone de l’activité était lié à l’utilisation des machines chez les clients (consommation énergétique), mais aussi de machines stockées, inutilisées et oubliées au fond d’un atelier, jetées après peu d’utilisation, etc. 

Pour agir, une démarche d’internalisation de la chaîne de valeur et de production a été mise en place, et a permis de reprendre la main sur l’innovation et l’éco-conception des machines.

Ce changement se manifeste par le développement d’une maintenance ultra-simplifiée où chaque composant des machines peut être remplacé avec un système de glissières, plutôt que de remplacer la machine intégralement. Un nouveau service R&D travaille notamment sur l’efficacité énergétique et l’amélioration de nos gammes de machines standard.

À la suite du parcours de la Convention des Entreprises pour le Climat (à laquelle FlexJob a également participé), la direction a pris des ambitions fortes à mettre en place d’ici 2032, notamment en s’engageant à réduire le développement futur : 

“Il faut prendre conscience du changement de paradigme : notre activité est de vendre des machines, et nous nous engageons à en vendre moins !” 

Avec un engagement de limiter les ventes à 300 machines par an. 

Cela est possible par le développement d’une autre activité : la vente de l’usage plutôt que des machines. On parle d’Économie de la Fonctionnalité et de la Coopération (EFC).

Ce nouveau modèle a été inspiré par Michelin, décidé à vendre des kilomètres parcourus plutôt qu’un volume de pneus.

La logique est la même : Dessica souhaite récupérer et mettre à disposition des machines, en vendant des m3 d’air traité via un abonnement mensuel. Cette solution est gagnante aussi pour les clients pour trois raisons : 

  1. Représente non seulement un impact écologique plus fort (machine adaptée au plus juste besoin en air sec des clients, à l’évolution de leurs process et de leurs conditions climatiques, maîtrise de la fin de vie avec la récupération des machines qui seront remanufacturées),
  2. Ils bénéficient aussi d’un conseil renforcé et d’une réactivité de nos équipes
  3. Ils ont à disposition des machines plus performantes au fil des années. L’IA permet en effet une amélioration continue des machines par la récupération massive de données de qualité.

Le deuxième engagement futur fort est lié au développement des coopérations au niveau du territoire :

“Nous ne pourrons relever ces défis futurs qu’en travaillant main dans la main avec les acteurs du territoire et nos partenaires et clients”

Des synergies existent déjà : Dessica est par exemple investi dans un Pôle Territorial de Coopération Économique qui lie des entreprises engagées et des structures de l’ESS. Ils souhaitent y mettre en place un fond de dotation qui permettrait aux entreprises de pouvoir flécher une partie de leurs résultats, ce qui ouvre des moyens pour mener des projets à impacts régénératifs sur le territoire.

Cela permet aux entreprises qui n’ont pas forcément les moyens de s’engager sur la Transition écologique de par leur activité, d’investir dans des projets pour prendre soin et régénérer le vivant, en mobilisant des ressources ensemble.

Trouver l’équilibre entre impact, humain et économie

Pour Sénova, l’activité est par essence orientée vers des préoccupations écologiques : “Au démarrage de l’aventure Sénova, cela me faisait vibrer d’avoir un développement économique, mais sans avoir de doute sur l’impact écologique, bien au contraire”

Le cœur de métier est de décarboner des bâtiments, ce qui répond à l’objectif 13 de développement durable (ODD) énoncé par l’ONU dans son Agenda 2030. 

Les résultats vont dans ce sens selon Dimitri :

“Quand nous faisons une rénovation globale performante, en 1 an, les émissions évitées compensent le carbone émis par la rénovation.” 

Au fil des années, avoir l’audace d’avoir un impact significatif est devenu une priorité, en visant des acteurs clé des immeubles en copropriété partout en France. Cette croissance des projets induit celle des effectifs, avec une ambition de 500 collaborateurs probablement en 2032. 

Le principal défi reste celui de trouver cet équilibre entre développement économique, humain et écologique. 

Une trajectoire complexe :

“Nous avons constaté que, bien que forts sur la dimension humaine, ces dernières années notre faiblesse était économique, cela a créé des dangers de robustesse, d’engagement des salariés face aux finances, pour continuer cette aventure enthousiasmante.” 

Le projet “Sénomelio” a été impulsé afin de créer une culture du résultat financier dans notre culture d’entreprise. 

Dimitri partage qu’il se satisfaisait jusqu’à récemment du fait que “tant qu’on développe le business, on fait croître l’impact”. Ils portaient une attention principalement à leurs indicateurs économiques, et ils avaient par ailleurs des indicateurs d’impact pour le rapport de mission (eux-mêmes liés au statut d’entreprise à mission). C’était très scolaire, et finalement peu porteur de sens. 

L’enjeu pour le CODIR est d’unifier la stratégie d’entreprise et le modèle de mission, sur un seul document, avec un seul tableau de bord d’indicateurs réunissant impact, humain et finances, car tout est lié et indissociable et même se complète. 

Autre prise de conscience dans ces transformations : commencer par “ici et maintenant” avant de chercher un impact plus lointain dans le temps ou l’espace : “J’ai vite eu la conviction que ça n’est pas possible de prendre soin des générations futures si on ne prenait pas d’abord soin des êtres humains et non humains les plus proches de nous”

Comment la rénovation ne sert pas juste les habitants de demain, mais ceux d’aujourd’hui ? 

Comment l’entreprise prend soin de l’interne avant de prendre soin à l’externe ? 

Comment s’enthousiasmer de rendre accessible au plus grand nombre d’occupants des lieux de vie beaux, agréables et écologiques si notre propre lieu de travail n’est qu’un lieu de production où les relations sont mortifères ?

L’intégration de toutes ces dimensions est source de joie :

“Demain, je serai fier, si ce qui est vécu dans l’entreprise est très riche de liens. Je rêve que les relations au sein de l’entreprise soient toujours plus vivantes, vibrantes, pleines et que chacun puisse vivre dans l’entreprise une expérience particulière, et pourquoi pas au-delà même de ce qu’on arrive à vivre en dehors de l’entreprise.”

L’organisation du travail contribue à la redirection écologique : 

Structurer le quotidien pour viser loin

Selon Fanny, l’organisation du travail doit permettre d’atteindre des ambitions stratégiques, en commençant par débloquer des problèmes du quotidien. 

Concrètement, des réunions de travail efficientes permettent d’avancer en peu de temps et par itérations successives. Dessica fonctionne par réunions de triage et réunions de gouvernance en regroupant les managers de chaque pôle. 

Inspirée de l’holacratie, la réunion de triage permet de lever les tensions opérationnelles en collectif en 30-45 min. Les réunions de gouvernance permettent de prendre du recul ensemble sur l’organisation générale durant 2h et de la structurer ou de la faire évoluer. 

Par exemple, le dernier sujet était dédié en inter-pôles à la projection des embauches futures pour aller vers cette ambition d’Economie de la Fonctionnalité : quels types de profils recruter ? Quels nouveaux territoires développer ? Quelles conséquences de ces embauches futures pour notre cohésion et culture commune ?

Ce temps investi est nécessaire pour penser loin et agir vite : c’est le principe de l’effectuation : on fait, on teste, on réadapte.

Fanny partage :

“Je me rends compte que l’agilité fait qu’on teste vraiment des solutions qui vont loin. Sans actionnaires extérieurs, nous sommes les seuls responsables.”  Le revers est la potentielle charge mentale du collectif : la charge mentale traditionnellement portée par les dirigeants est diluée et en changement permanent. “ Je passe ma vie à adapter des fiches de postes qui évoluent en permanence !”.

S’inspirer du vivant pour organiser le travail autrement

L’organisation du travail peut servir le Vivant, et dans le même temps peut s’en inspirer ! 

C’est la proposition des 9 des principes du vivant décrits dans la boussole du vivant : fonctionner dans la diversité, ne pas avoir de centre, favoriser synergies, viser la sous optimalité…

Prenons l’exemple de la sous-optimalité : dans un monde très fluctuant et incertain, nous sommes amenés à traverser des crises et pour résister en cas de crise ou d’aléa, il faut savoir fonctionner en sous optimalité afin qu’il reste de l’énergie et des ressources pour faire face lorsque cela arrive.

“Il faut qu’on travaille pour avoir plus de robustesse : maîtriser les moyens, être assez fins pour prendre soin des espaces humains où les hommes peuvent souffler.”

Quand on n’est pas dans la course tout le temps, on a plus de temps et d’énergie pour traverser les aléas. 

Dimitri partage ces mêmes constats chez Sénova : investir le temps long et se donner des espaces de respiration notamment en collectif est clé : cela renforce la dynamique participative au service d’un projet partagé et l’investissement pour l’humain est toujours le plus efficace, durablement ! 

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