Clans en entreprise : menace ou levier de changement ? 

Dans toute organisation, au-delà des organigrammes officiels et des processus établis, se tissent des relations informelles, souvent invisibles, mais pourtant puissantes. Ces dynamiques donnent parfois naissance à des groupes soudés, partageant valeurs, intérêts ou modes de fonctionnement communs : les « clans ». 

Loin d’être anecdotiques, ces configurations claniques influencent profondément le climat interne, la circulation de l’information, la prise de décision… et parfois même la réussite des projets.

Mais que penser de ces clans en entreprise ? Faut-il les voir comme une menace au collectif, favorisant les silos, les conflits ou la résistance au changement ? Ou au contraire, comme des leviers de cohésion, d’entraide et d’ancrage culturel ? 

Il est vrai que les clans organisationnels soulèvent de vraies questions de management et de gouvernance.

Dans cet article, nous vous proposons d’explorer ce phénomène sous l’angle des sciences sociales et de la pratique managériale, pour mieux comprendre ses ressorts… et en faire, une grille de lecture éclairante. 

Comprendre ce que sont les “clans” en entreprise

Dans le monde professionnel, le terme “clan” renvoie à un groupe d’individus unis par des liens informels, souvent invisibles, mais puissants. Ces groupes se forment autour de valeurs communes, d’une histoire partagée, d’un même métier, ou encore d’une loyauté envers une personne ou un style de leadership. Ils ne figurent sur aucun organigramme, pourtant leur influence sur le fonctionnement réel de l’entreprise peut être considérable.

À ne pas confondre avec les équipes formelles (structurées par une hiérarchie, un rôle et des objectifs définis), les clans relèvent de la sociologie des groupes informels

On pourrait aussi les rapprocher des communautés de pratique (Communities of Practice selon Wenger, 1998), bien qu’ils n’aient pas nécessairement de visée d’apprentissage ou d’innovation. 

Le clan se caractérise d’abord par un sentiment d’appartenance fort, souvent exclusif, et par une forme de loyauté interne.

Pourquoi les clans apparaissent-ils ?

La formation de clans en entreprise est rarement le fruit du hasard. Elle peut répondre à plusieurs dynamiques :

  • Un besoin de sécurité ou de reconnaissance dans un environnement perçu comme instable. 
  • Un déficit de leadership ou de clarté organisationnelle, qui pousse les individus à se regrouper entre eux.
  • Des cultures internes fragilisées, liées à l’histoire de l’entreprise (fusion, rachat, changements successifs).
  • Un manque de communication transversale, qui favorise les regroupements par affinité ou proximité métier.

Ces logiques peuvent coexister dans une même structure. Ce n’est pas tant leur existence qui pose question, mais leur influence sur les dynamiques collectives et les conduites du changement. 

Les apports des sciences sociales sur le phénomène des clans en entreprise

Le fonctionnement des organisations ne peut pas être compris uniquement à travers leurs structures formelles. C’est ce que les sciences sociales, et notamment la sociologie des organisations, ont montré depuis plusieurs décennies : les comportements des individus au travail sont traversés par des logiques d’acteurs, des jeux de pouvoir, et des dynamiques informelles.

Michel Crozier et les zones d’incertitude

Dans son ouvrage fondateur Le phénomène bureaucratique (1963), Michel Crozier observe que dans les grandes organisations, les individus cherchent à contrôler des zones d’incertitude pour accroître leur pouvoir. Ces zones peuvent concerner l’accès à l’information, la maîtrise d’un outil ou la connaissance de règles.

Résultat : des alliances se forment et des logiques d’entraide émergent. Les clans peuvent ainsi se constituer autour de compétences spécifiques ou de positions stratégiques, renforçant les jeux d’influence.

“Le pouvoir dans les organisations ne vient pas de la position hiérarchique, mais du contrôle de ce que les autres ne maîtrisent pas.”

Michel Crozier

Crozier & Friedberg : l’acteur stratégique

Dans L’acteur et le système (1977), Crozier et Erhard Friedberg approfondissent cette idée en introduisant la notion d’acteur stratégique : chacun, à son niveau, agit en fonction de ses intérêts, dans un jeu d’interdépendances.

Les clans peuvent alors être vus comme des coalitions d’acteurs qui coopèrent pour renforcer leur position face à d’autres groupes ou à la direction.

Mintzberg : les coalitions internes

Le chercheur canadien Henry Mintzberg, dans Power In and Around Organizations (1983), propose une lecture politique de l’entreprise. Il identifie les coalitions internes comme des regroupements informels d’individus ou de groupes ayant un intérêt commun et pouvant influencer les décisions stratégiques.

Un clan peut alors être une force d’influence majeure, alliée ou opposante, selon les circonstances et les projets en cours. 

Cameron & Quinn : la culture clanique

Dans leur ouvrage Diagnosing and Changing Organizational Culture, Cameron & Quinn (1999) identifient un type de culture organisationnelle appelé culture clanique. Celle-ci valorise la coopération, la loyauté, la proximité humaine et un management de type mentorat.

Cette forme de “clan” n’a rien de négatif en soi : elle reflète un environnement de travail fondé sur la cohésion et la solidarité. Mais poussée à l’extrême, elle peut générer de l’entre-soi et un rejet des logiques de changement.

Edgar Schein : les sous-cultures d’entreprise

Enfin, Edgar Schein, dans ses travaux sur la culture organisationnelle (Organizational Culture and Leadership, 1985), rappelle que toute entreprise est composée de sous-cultures. Ces dernières se forment autour de métiers, d’équipes ou de localisations, et peuvent avoir leurs propres normes et rituels.

Dans cette optique, les clans peuvent incarner à la fois une richesse et un risque d’isolement culturel.

Les sciences sociales nous montrent que les clans sont des manifestations naturelles des interactions humaines dans un système complexe. Leur reconnaissance permet mieux comprendre les leviers d’action possibles.

Logiques de clans au travail : les effets

Effets positifsRisques
•Création de solidarité

•Circulation d’information rapide

•Renforcement d’identité culturelle
• Logique d’influence désorganisée

• Dégradation de la cohésion de l’équipe, notamment par la logique d’exclusion d’une ou plusieurs personnes, et par la perte de la “sécurité psychologique” de l’équipe : je ne peux plus dire ce que je pense vraiment

• Dégradation des résultats collectifs : la continuité et la préservation du “clan” devient prioritaire par rapport à l’efficacité ou la performance

• Culture orale qui floute les périmètres de décision et d’autorité et remplace les rituels de l’équipe : “on en a déjà discuté, etc.”

Comment repérer et gérer les dynamiques claniques ?

Une fois les dynamiques claniques comprises, la question essentielle pour les managers, RH et dirigeants est : que faire concrètement ? 

Les clans ne sont pas nécessairement à éliminer, ils peuvent même être des ressources précieuses, mais leur influence doit être comprise, canalisée, et parfois rééquilibrée pour préserver la santé collective de l’organisation.

Repérer les signes d’une dynamique clanique

Certains signaux faibles peuvent alerter sur la présence ou l’influence excessive d’un clan :

  • Tensions implicites entre équipes ou services (« nous vs eux »)
  • Rétention d’information ou communication parallèle
  • Résistance collective à certains changements
  • Sentiment d’exclusion exprimé par certains collaborateurs
  • Présence de figures d’autorité informelles souvent plus écoutées que les managers

Ces signes ne sont pas en soi problématiques, mais s’ils s’accumulent, ils peuvent indiquer un déséquilibre organisationnel.

Adopter une posture managériale adaptée

Face à un clan, plusieurs attitudes sont possibles. Voici quelques postures clés pour éviter les réactions contre-productives :

  • Reconnaître l’existence du groupe, sans le diaboliser ni le nier
  • Aller au contact des figures informelles et instaurer un dialogue ouvert
  • Comprendre les motivations derrière la formation du clan (peur ? perte de repères ? quête de sens ?)
  • Travailler sur une culture commune
  • Favoriser les interactions transversales, sans chercher à “diluer” l’identité du groupe

Le pire réflexe serait de vouloir “casser les clans” de manière autoritaire : cela ne fait que renforcer leur cohésion contre l’organisation.

Encourager des tribus ouvertes plutôt que des clans fermés

Une alternative aux clans fermés est de favoriser des communautés ouvertes, où l’intelligence collective est forte, mais reste perméable :

  • Créer des espaces de coopération inter-équipes (projets transverses, communautés de pratique, etc.)
  • Valoriser les leaders “informels”, qui tissent des ponts entre les groupes
  • Mettre en lumière les valeurs partagées, plutôt que les appartenances du clan
  • Former les managers à la lecture systémique des sciences sociales et des dynamiques humaines

Des solutions individuelles et collectives 

Individuelles
Prendre conscience à titre personnel des mécanismes qui se jouent en moi :
Collectives
Prendre conscience à titre personnel des mécanismes qui se jouent dans l’équipe :
•Est-ce que je me sens exclu ? Protégé par quelques personnes de l’équipe ? 

•Suis-je capable d’affirmer mon point de vue ?
 
•Ai-je l’impression de contribuer à des mécanismes de clans ?

•Est-ce que j’ai l’impression de prendre soin ou de faire attention à chacun dans l’équipe ou ai-je pu exclure des personnes par mon comportement ?

•Que suis-je prêt à changer dans mon comportement au service de notre équipe et au détriment des clans existants ?
•Renforcer la culture de l’équipe autour de valeurs partagées

•Organiser des événements, séminaires ou rituels communs qui favorisent l’identification à l’équipe, et non à un groupe informel

•Rendre les critères de décision clairs pour limiter les interprétations biaisées ou les jeux d’influence

•Développer un management collaboratif et impartial qui ne prend pas part aux jeux d’influence

•Instaurer des mécanismes d’alerte et de médiation quand nous sentons que nous “glissons”

•Favoriser du travail transverse pour mieux se connaître et sortir des préjugés sur chacun

•Apprendre à nous faire des feedbacks en one-to-one /au sein de l’équipe 

Repérer et gérer les clans, c’est avant tout accepter que l’informel fasse partie de la réalité organisationnelle. En l’écoutant, en le rendant visible et en lui offrant un espace d’expression, on peut transformer ces clans en alliés du changement. 

Transformer les clans en alliés du changement

Souvent considérés comme des freins, les clans en entreprise peuvent devenir de véritables alliés puissants à condition qu’ils soient compris. Plutôt que de chercher à les contourner ou les effacer, il est possible de les associer à la dynamique de changement.

Dans ce processus, un levier clé peut faire la différence : l’effet tâche d’huile.

Ce concept désigne un phénomène de diffusion progressive et positive, dans lequel une dynamique locale ou un groupe pilote réussit à inspirer et à influencer positivement son environnement.

Lorsqu’un clan devient moteur de coopération, de sens ou d’innovation, il peut déteindre sur d’autres équipes. 

Alors, les clans en entreprise : poison ou ressource ?

La réalité, comme souvent, se situe entre les deux.

Oui, certaines dynamiques claniques peuvent freiner la coopération, entretenir des conflits, voire bloquer des initiatives. Mais dans d’autres cas, et c’est généralement le plus fréquent, les clans incarnent une force sociale, un soutien émotionnel et une énergie collective

Gouverner aujourd’hui, ce n’est plus seulement piloter des processus ou suivre des KPI’s, c’est aussi savoir lire le vivant de son organisation : les liens invisibles, les jeux d’appartenance, les alliances informelles… 

C’est accepter que l’entreprise ne soit pas un système parfait, mais un écosystème social mouvant, riche de ses tensions et de ses relations. 

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