Côté face, vous comprenez parfaitement le besoin et les avantages de l’un et de l’autre. Votre logique applaudit, vous avez même peut-être largement adopté les deux.
Côté pile pourtant, quelque chose vous dérange. Une drôle de sensation quand, dans un espace public, chacun a son masque sur la bouche et que les regards se croisent. On tente bien de sourire avec les yeux, mais on est vite limité(e) pour les interactions non verbales.
Vous vous sentez vaguement perdu(e).
Pour le télétravail, c’est pareil : à chaque visioconférence, malgré leur multiplication et votre toute nouvelle maitrise de Zoom, Teams ou autre Skype, vous ressortez parfois avec un léger flou.
Les collègues sur votre écran ne fixent pas la caméra, chacun se parle finalement en regardant un peu ailleurs…
Malaise.
Le point commun entre ces deux situations, qui s’imposent massivement à tous à présent, c’est la perte du 6e sens que vous ignoriez posséder jusque-là.
Pour communiquer, nous traitons sans nous en rendre compte une foule d’informations ultras précises et ultras rapides que notre cerveau capture à la volée. Elles viennent de notre lecture des micro-expressions. Ce sont des plis et des mouvements qui se forment instinctivement et traduisent les émotions sur le visage, et qui sont particulièrement visibles en temps normal au niveau de la bouche, du nez, des sourcils.
On sait depuis plusieurs décennies que ces signaux fugaces, qui n’apparaissent que quelques dixièmes de seconde sur le visage, trahissent de manière involontaire chacun d’entre nous lorsque nous ressentons : de la joie, de la peur, du dégoût, de la tristesse, de la colère, du doute, etc.
On sait également, d’une part - qu’il est impossible de contrefaire exactement ces mouvements - et d’autre part - qu’ils sont curieusement presque entièrement communs à l’ensemble de la population mondiale, ignorant tout effet de culture.
À chaque instant, nous les utilisons sans en avoir conscience pour analyser, communiquer, appréhender.
En permanence, nous les guettons sans le réaliser pour nous sentir entendus, vus, reconnus.
Pratique, pour nous comprendre. Crucial, pour notre intuition : « Il a dit que le projet était en bonne voie, mais j’ai bien vu que… ».
Or, lorsque tout le monde porte un masque autour de vous, vous êtes subitement privé(e) de ce sens crucial aux interactions, acquis patiemment et de manière silencieuse par vous depuis la petite enfance. En nous empêchant d’accéder aux micro-expressions, le masque nous rend notablement moins efficaces dans nos interactions, que l’on soit en train de converser ou pas.
Premier effet :
Et bien par certains côtés, c’est un peu la même chose. En instaurant de manière temporaire ou long terme le télétravail sur une majorité, voire la totalité des jours de la semaine, nous avons dû mettre en place de manière rapide des stratégies pour pallier le fait que nous ne pouvions plus nous voir.
Téléconférences, appels vidéos… heureusement pour nous, les solutions techniques ne manquent pas.
Pourtant, c’est une fatigue un peu similaire à celle engendrée par le port du masque que nous ressentons.
En présentiel, une réunion de deux heures n’égratignera pas nécessairement notre endurance. À distance, une visioconférence d’une heure et quart nous paraît largement suffisante.
En présentiel, un échange sur une situation nous fait dire : « je ne le sens pas ». À distance, nous demandons à « prendre un temps à part » ou « à voir les chiffres ».
Malgré les réunions rituelles en visio : « ça n’est pas pareil ».
L’une des raisons de ce que l’on pourrait appeler « la téléfatigue » est justement que l’écran ne nous permet pas de capter aussi bien les micros expressions :
La perte de ce 6e sens à terme peut-elle avoir des impacts vraiment négatifs sur nos équipes, nos activités, et notre propre bien-être au travail ?
La réponse est plus contrastée.
Les impacts négatifs sont réels :
En nous empêchant d’accéder à ce qui participe largement à notre intuition, notre intelligence émotionnelle ou notre diagnostic fin et complet d’une situation, la distance semble presque représenter un obstacle incontournable. Et pourtant, ses effets négatifs peuvent être évités. Mieux encore, des opportunités insoupçonnées existent, qui attendent d’être exploitées.
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Quand on se penche sur le sujet, surprise : a-t-on bien compris le problème ?
Contre toute attente, aucun des effets négatifs cités ci-dessus ne vient directement de la distance.
Ces impacts viennent du fait que l’on poursuit nos opérations avec nos outils et techniques habituels, pour l’ensemble de nos interactions, de nos analyses, sans prendre en compte le fait qu’un paradigme important a changé.
Pour nos organisations, nos équipes, comme pour nous-mêmes, le piège est là :
Sans comprendre l’importance que jouent les micro-expressions dans nos repères habituels, il nous est plus difficile de réagir avec rapidité et agilité à la nouveauté de la situation. C’est seulement en reconnaissant et intégrant ce changement de taille dans la manière dont nous organisons nos activités, que les risques liés à la distance peuvent être mitigés.
Dans cette situation où on peut avoir l’impression soudaine de moins voir, moins entendre, tout n’est pas négatif.
Les appels de certaines sociétés à passer au télétravail complet, le plaidoyer de certains collaborateurs en faveur du « full remote », montrent bien que certains ont observé des bénéfices réels et mesurables pour leur efficacité et leur bien-être.
Côté Performance, les indicateurs de production mesurable sont au vert chez MERCURIA. Stéphan BIEZ, Responsable d’une équipe en charge des plateformes technologiques à Genève, explique : « Pas d’interruption, une production plus fluide et la possibilité d’accomplir davantage. L’équipe a les outils, le temps gagné est précieux pour la famille, les conditions sont meilleures. »
Chez DNV GL, dont l’activité d’audit et de conseil implique des tâches majeures en planification précise – un jeu de Tetris à son niveau le plus élevé -, le passage en télétravail de ses équipes italiennes a fait augmenter la productivité dès les premiers jours.
Chez FLEXJOB également, nos réunions rituelles du lundi matin ont fait un bond en avant : préparées, ponctuelles, leur organisation tournante permet à chacun de s’exercer à la conduite de meeting avec un ordre du jour précis et co-construit. Elles ont été largement raccourcies, et sont pourtant largement plus profitables.
Dans les faits, en nous privant de micro-expressions, la distance nous pousse à adapter notre concentration et l’organisation de nos activités :
La période est à la rupture. D’outils, de contraintes, de pratiques : les changements sont majeurs. La sensation de déséquilibre ou de perte, en raison de la difficulté accrue à accéder à des signaux absolument nécessaires pour chacun de nous, est partout majeure. Dans nos rouages connus ou inconscients, ça grince.
La période est au pivot. De point de vue, d’utilisation de ressources, de tactiques : nous prenons conscience que l’objectif (la communication, l’efficacité) prime sur la manière (le face-à-face, les réunions). Nous réalisons que nous avons dans notre trousse à outils, des éléments que nous utilisions peu et qui nous sont au moins aussi utiles que les précédents.
La période est au renouveau. Et pourquoi pas ? Elle permet également de réinventer la manière dont nous communiquons les uns avec les autres (sourcils ultra mobiles sous les masques, sourire des yeux… et à l’écran, gestes exacerbés, sourires plus larges pour être vus). Elle permet aussi, en faisant taire les « bruits » liés à l’hyperinteraction du tout présentiel, de nous concentrer davantage sur le fond.
Mais ce qu’elle permet surtout, c’est une nouvelle clé : cette crise avec son lot de difficultés remet au centre des personnes moins reconnues parce que peut-être moins habiles avec les outils de communications classiques, et avec des potentiels précieux.
Elle souligne aussi l’importance d’une compétence majeure pour l’ensemble de nos activités : la capacité à faire le lien – entre les silos, les parties prenantes, les collaborateurs, quelle que soit la manière et quel que soit le lieu.
Un renouveau bienvenu, qui mérite bien l’inconfort de quelques tâtonnements des débuts.
Article rédigé par Lise-Marie Biez.
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