Sommaire
Le monde de plus en plus numérique dans lequel nous vivons, où tout devient connecté avec tout remet en question de nombreux points relatifs à la frontière entre temps professionnels et temps personnels. Si je suis connecté à mes mails pro sur mon smartphone perso, quelle est la probabilité que je consulte mes mails pendant mes congés ou le soir après le bureau ? L’enjeu sous-jacent étant que s’il n’y a plus de tout de vrai repos, de déconnexion, c’est un risque psychologique conséquent pour les salariés qui émerge et risque d’exploser dans les années à venir.
L’article qui suit est inspiré de l’intervention de Jean Pouly, expert en économie numérique, lors d’une matinale organisée mi-juillet dans les locaux de FlexJob.
L’émergence du concept de droit à la déconnexion
Depuis août 2016 et la loi El Khomri, le droit à la déconnexion est inscrit dans la loi française avec une entrée en vigueur qui s’est faite au 1er janvier 2017 – voir article L.2242-17 du Code du Travail. Cette entrée dans la loi témoigne d’une prise de conscience de l’évolution de nos usages et de nos manières de faire par rapport à l’émergence du numérique dans nos vies.
Cependant, rien dans le texte de loi ne dit sur ce qu’il faut faire et comment cela peut être fait. Le Code du Travail n’indique en effet aucune modalité d’exercice de ce droit à la déconnexion et indique seulement que ces dernières doivent être fixées au niveau de l’entreprise lors des négociations annuelles sur la qualité de vie au travail. À défaut d’accord, l’employeur pourra mettre en place une charte et inclure des actions de formation, de prévention, de sensibilisation aux usages numériques.
Le problème par rapport à ce point étant que les entreprises sont nombreuses à aborder le sujet via un prisme uniquement législatif et non en creusant sérieusement cette thématique et les enjeux sous-jacents. De plus, le Code du Travail n’indique pas de sanctions spécifiques en cas d’absence d’accord ou de rédaction de charte. La loi peut cependant pénaliser le manque de repos cognitif d’un collaborateur.
À la lumière de ces éléments, on se rend compte que tout l’enjeu du droit à la déconnexion tient surtout à nos usages qui ne sont aujourd’hui pas régulés. On conscientise le fait qu’il est difficile de lutter contre le numérique ; d’où la pertinence de se questionner sur la régulation de nos usages.
Le droit à la déconnexion en chiffres
Aujourd’hui, ce sont plus d’un tiers des Français qui se connectent pendant leurs vacances pour effectuer des activités en lien avec leur travail (réponse à des mails pro, consultation des messages vocaux …). Parmi ceux qui ne se connectent pas, ils sont plus de 25% à se sentir coupables de cette situation.
Quand l’on se penche sur le détail des chiffres, on s’aperçoit que le problème de la déconnexion concerne majoritairement les cadres : plus de 80% d’entre eux sont concernés par ce phénomène ! Cela peut résulter de la nature de leur travail, d’une difficulté de perception de la notion de forfait jour …
Autre chiffre édifiant sur nos usages, en 2019 ce sont 7 Français sur 10 qui déclarent être incapables de se passer du numérique sur 1 journée (sondage BVA).
Une autre étude a fait ressortir un chiffre qui illustre l’ampleur de nos usages numériques : une moyenne de 121 mails par jour et par salarié (étude Radicati).
En écho à ce chiffre, une participante à l’événement a fait remonter que son entreprise avait une culture très orale et que donc l’enjeu de la déconnexion dans son cas résidait davantage sur le côté oral avec notamment la disponibilité téléphonique.
À lire aussi : Comment mettre le télétravail en place dans votre entreprise ?
Le droit à la déconnexion : un sujet collectif !
Ce sujet est trop complexe et s’inscrit dans une logique systémique : on ne peut pas le régler sur un coin de table !
Nous sommes tous interconnectés (au sein de l’entreprise, avec nos clients …) et il y a une chaîne d’information complexe à prendre en compte. Le sujet de la connexion et de la déconnexion concerne toutes les parties prenantes ; il serait illusoire de vouloir l’aborder sous un seul angle.
L’hyperconnexion : la cristallisation des enjeux
À l’ère des notifications permanentes, des flux d’informations ininterrompus, un nouveau phénomène est apparu et témoigne du paradoxe du phénomène du droit à la déconnexion : le FOMO. Littéralement “Fear Of Missing Out”, soit la peur de rater quelque chose lorsque l’on n’est pas connecté. Cette angoisse nourrit la volonté de toujours être connecté et de louper quelque chose. La surinformation donne ce sentiment que l’on va absolument rater un événement intéressant, une information clef…
Une étude (IFOP – juillet 2017) a fait ressortir les points suivants en allant interroger cadres et managers sur les raisons de leur hyperconnexion :
- Être connecté pour être sûr que l’on ne passe pas à côté d’une urgence ;
- Être connecté pour ne pas être débordé, traiter ses mails le soir plutôt que le matin ;
- Être connecté pour ne pas rater d’opportunité !
Le paradoxe de cette situation est qu’en cherchant à éviter l’apparition de problèmes, on en crée de nouveaux à côté ! Cela participe à l’effacement de la frontière entre vie pro et vie perso et crée de nombreux problèmes par rebond : épuisement mental, hausse du stress, perte de concentration … Nous n’en sommes qu’aux prémices de ce phénomène et nous ne savons pas en mesurer les impacts.
Point important à garder à l’esprit dans ces réflexions, il est de la responsabilité de l’employeur de faire respecter les temps de repos. Aussi, il faut être conscient que “L’utilisation de vos outils traduit aussi votre organisation”. C’est à ce titre une vitrine de votre management et de votre organisation.
Initiatives innovantes pour s’inspirer sur le droit à la déconnexion
- Volkswagen qui bloque les serveurs mails le soir et le week-end depuis 2011. Originellement destinée à 1000 salariés, l’initiative concerne maintenant 3000 salariés (hors managers). Mais cela peut faire perdre de la flexibilité et en procédant ainsi on évite de responsabiliser les gens. D’après la CFE-CGC, moins de 1% des entreprises en Europe recourent à des solutions contraignantes de ce type.
- Des journées sans e-mail pour prendre conscience qu’on peut communiquer autrement dans l’entreprise et ainsi sensibiliser les salariés sur le sujet (Initiative de PriceMinister Rakuten en France par exemple) ;
- L’utilisation encadrée et mesurée du mail. De grands groupes ont par exemple apposé à côté des signatures mails la mention “Mon mail n’appelle pas de réponse immédiate” ; d’autres ont supprimé la fonction “Répondre à tous” ; certains invitent à utiliser la fonction “envoi différé de mails”.
- Prise de conscience des temps d’utilisation : intéressant de faire des petits bilans annuels pour faire des auto-évaluations ;
- Une charte de bonnes pratiques – la question qui vient après étant : est-elle utilisée ? Souvent elle est faite uniquement pour être en conformité vis-à-vis de la loi et ainsi protéger l’entreprise.
- Penser les usages et les règles de manière collective pour choisir des outils adaptés et des règles d’utilisation qui répondent aux besoins de l’entreprise, des collaborateurs et respectent les principes du droit à la déconnexion.
Les conclusions de cet événement sur le droit à la déconnexion
- On ne peut pas sauter du train : on ne peut pas se déconnecter totalement ;
- Les salariés ne remettent pas en cause les bénéfices du numérique ;
- La question des temps de repos est décisive ;
- C’est une bonne occasion pour se pencher sur l’organisation dans l’entreprise : comment communique t-on au sein de l’entreprise ?
- Puisque c’est une chaine d’information, le collaboratif et la co-construction sont importants pour que cette charte soit pérenne.